Le bel obscur
Un jules et Jim dans lequel Jules fornique avec Jim(s). Prisonnière de cette union, la femme déplore, tolère, puis théorise alors qu’elle est victime (« oie au milieu des cygnes »), agonisante (« En réalité on tourne en rond, deux poissons rouges prisonniers du même bocal, le troisième, éjecté, s’asphyxiant sur la table »).
Pour diluer son mal-être, elle s’accroche à cet ancêtre, Edmond, qui lui fait signe, surgi du passé, entouré d’un vague mystère que le lecteur perce au bout de quelques pages, secret d’un polichinelle au regard tendre et ténébreux, que sa condition d’inverti a probablement condamné.
Pourquoi ? Comment ? On ne le sait pas vraiment car Edmond est « un mort trop ancien pour qu’on puisse le pister ». Il n’est qu’un clin d’œil généalogique, un prétexte à des coïncidences un peu forcées qui redorent le blason de ce ménage à trois.
L’auteure explore avec courage et finesse ce que cela signifie « être la femme d’un homme qui aime les hommes », peu à peu déclassée (« Nous vivions dans un roman courtois »), cherchant le secours chez les écrivains (« Rejeter ses propres expériences, c’est entraver son propre développement » - Oscar Wilde), acceptant d’être trompée sous son propre toit. Elle en révèle toutes les facettes, toutes les souffrances (« Je pris des cours de chant : j’avais des crises de larmes dans les notes graves, comme si pleurait par là mon sexe délaissé »), toutes les humiliations, jusqu’à décréter que le partage des territoires est illusoire, que l’amour ne peut se satisfaire d’un corps absent, entrepris par d’autres. Il n’y a qu’une issue possible, la séparation (« Je l’aimais sorti de ma vie. Je l’aimais autrement »).
J’ai aimé l’intelligence et la dignité du propos. La présence fantomatique et systémique de l’aïeul, elle, me questionne.
Appréciation : 🌹🌹