Le monde est fatigué

Le monde est fatigué

lncardona excelle quand il faut patauger dans le pédiluve des nantis. Il devine leur ennui, pointe leurs turpitudes. Leur biotope, la Suisse, lui est familier. Sa fascination pour les fortunés est évidente (pages 96, 135, 177). Quand il se laisse aller, son ironie chic à la « Amicalement vôtre » vire à la vulgarité d’un Gérard De Villiers (pages 18, 56).

Il est aisé de faire bouger et parler les riches car leurs extravagances paraîtront toujours crédibles. C’est plus compliqué avec les pauvres. D’où mon respect pour son compatriote Ramuz.

Amusante aussi cette obsession pour les professeurs de sport en général et les professeurs de tennis en particulier. D’un roman à l’autre, beaux et jeunes, ils piquent tous la femme d’un malheureux. De là à diagnostiquer un trauma, il y a un pas que je ne franchirai pas…

Incardona fustige à merveille des vicissitudes capitalistes qu’il dissèque tout au long de son œuvre. Le consumérisme est devenu le prisme de toute interaction humaine (pages 32, 119, 151). L’abandon de l’effort et la médiocrité mercantile deviennent systématiques : « (…) On prend des raccourcis pour toucher au but. C’est la fatigue et l’usure. Le fait d’avoir toujours cherché à donner le maximum dans la précision et l’originalité du point de vue, alors que la paresse et l’imposture deviennent la norme ».

J’ai aimé son héroïne, Êve, gentil monstre et caricature d’une époque outrancière. Je ne suis pas la seule. Incardona est amoureux de sa fragile sirène (émouvantes pages 22-26) à l’image d’un autre personnage réussi, l’adipeux détective Matt Mauser.

Un final attendu et grandiose à Dubaï, qui m’a rappelé celui du roman « Les meilleures intentions du monde » d’un Gabriel Malika plus informé (ex : au Moyen-Orient, M. Incardona, on dit Bin et non Ben) et moins caricatural que l’auteur helvète.

Appréciation : 🌹🌹

James

James