La maison vide
Quel livre !
On reprochera à Laurent Mauvignier (comme à Emmanuel Carrère) d’avoir puisé dans les archives familiales. Que les peine-à-jouir aboient autant qu’ils veulent : Laurent Mauvignier, c’est de la grande littérature !
De la légende d’une vieille photo, il tire un roman flamboyant, dans un style qui n’appartient qu’à lui, précis, pointilliste, parfois jusqu’à l’obsession (cette émouvante révélation p722). Une prouesse. Essayez d’imaginer avec forces et détails la vie de votre aïeul à partir d’un cliché jauni et de quelques souvenirs diffus.
Dans « La maison vide », chaque page est un tableau vivant, vibrant, si profond qu’on ne se lasse pas de la relire. Mauvignier excelle dans l’art du portrait ou dans l’évocation d’une atmosphère qui donne à la scène son épaisseur et sa gravité (exemples aux pages 173, 213, 229, 331, 405, 414, 461). Ce monologue de la petite vendeuse Paulette (pages 506-512) !
Il crée des personnages inoubliables parce qu’il prend le temps de leur donner une âme : Marie-Jeanne dite « la préposée aux confitures et aux chaussettes à repriser » qui devient patronne à la faveur de la grande guerre, Marie-Ernestine au destin de pianiste contrariée, son mari, Jules, l’amoureux pataud fini en charpie dans les tranchées et puis Marguerite, leur fille, dont la fin tragique est si bien tissée au fil des pages.
Le roman de Mauvignier est un hymne à l’humanité, entre espoir et cruauté. Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’œuvre d’Émile Zola (« Les Rougon-Macquart » est d’ailleurs cité) et à Jacques Brel, sur scène, interprétant sa bouleversante chanson « Ces gens-là ».
Cette année encore, Laurent Mauvignier mérite le prix Goncourt. Sa prose est largement au-dessus de tout ce que j’ai pu lire jusqu’à maintenant, en attendant de découvrir Appanah, Pourchet, Chalandon, Bouysse et consorts.
Appréciation : 🌹🌹🌹