Toutes les époques sont dégueulasses
Laure Murat met dos à dos les partisans de la « cancel culture » et leurs opposants, qui dénoncent cette nouvelle forme de censure. Elle juge que leur débat échouera dans une impasse de controverses et d’outrances.
Car on a vu récemment se multiplier la récriture, c’est-à-dire la tentative de priver un texte de ce qui le rend intolérable aux yeux de notre époque.
S’il n’est pas choquant de remplacer « Dix petits nègres » par « Ils étaient dix », on peut s’interroger sur les modifications apportées aux textes de Roald Dahl, d’autant qu’elles ont été effectuées juste avant la vente des droits de son œuvre à Netflix – les motivations de ce coup de force apparaissent mercantiles.
Il y a quelque chose d’hypocrite dans la démarche : « si on peut toujours corriger la lettre, il est impossible de réformer l’esprit ». Est-il réaliste de vouloir supprimer la misogynie d’Homère, l’antisémitisme de Voltaire, l’obscénité de Sade ou l’homophobie de Marguerite Duras ? La récriture constitue un danger parce qu’elle traduit « le désir de lisser le monde à tout prix, aux dépens de la pensée ».
L’auteure propose trois alternatives à la récriture systématique d’un ouvrage :
- Ne pas lire le livre incriminé (personne ne vous y oblige)
- Lui donner du contexte par l’usage de préface (le dispositif idéal) ou de notes de bas de page
- En inventer une version plus conforme à notre époque sans pour autant dénigrer les qualités de l’œuvre originale (exemple, l’acclamé « James » de Percival Everett qui reprend « Les aventures de Huckleberry Finn » du point de vue de l’esclave).
Appréciation :🌹🌹