Un perdant magnifique
Pour évoquer l’indigence et le dénuement, il suffit de quelques mots, de silence entre les lignes et de scènes qu’on imagine appartenir à un film de Ken Loach ou des frères Dardenne. Florence Seyvos traite le déclassement sans misérabilisme ni sensationnalisme.
Et puis, disons-le franchement, dans ce monde gouverné par l’ostentation et l’indécence, c’est presque salutaire de compatir aux galères d’un type qui n’a d’autre but que de tenir debout, de subvenir aux besoins de sa famille, avec maladresse et dignité, avec cet espoir toujours vivace qui nous rapproche de notre humanité.
On a tous connu un Jacques, un rêveur, un irresponsable, un homme incapable de laisser l’argent gouverner sa vie tout en sachant qu’un jour ou l’autre, il faudra lui faire allégeance.
En attendant, Jaques fait des folies, joue la flamboyance en hypothéquant la patience de ses proches. Il achète un piano pour écouter sa belle-fille y jouer du Satie (p29, 35). Il dégotte un fax dernier cri pour que sa famille lui écrive des lettres en temps réel (p110). Jacques est de ces hommes qui ne se résolvent pas à la déchéance et préfèrent agoniser seuls plutôt que de ternir leur aura.
Un peu facile. Jacques vit trop loin des siens pour empêcher les huissiers de fouiller chaque pièce de leur maison (remarquables pages 96-100) ou consoler sa femme après que le bijoutier lui a révélé la valeur réelle de cette bague dont la vente aurait dû effacer leurs dettes (p108).
On a toutes les raisons d’en vouloir à Jacques. On a aussi toutes les raisons de lui pardonner. Et moi, je pense que la vraie beauté naît de la fragilité et de l’imperfection.
Appréciation : 🌹🌹