L'abîme

Nicolas Chemla excelle à parler des monstres, qu’ils aient les traits d’une créature body-buildée (Mr Amérique) ou du père de Nosferatu (Murnau des ténèbres).

Cette fois, le monstre, c’est lui, parce qu’il se sent étranger à la décadence d’un monde qui l’oppresse, qu’il s’enlise dans une misanthropie dont seul un animal aux neuf vies pourra le guérir (le chat « Mouche »), que la vieillesse de son voisin lui donne sa propre mort en miroir et qu’il entend des voix au-delà du bon sens. Il peut sombrer à chaque instant. L’abîme est proche. Dans un sursaut désespéré, il prend sa plume et raconte sa lente descente, faisant de l’écriture une thérapie de la dernière chance.

Résumé autrement, ce livre frise ma correctionnelle : un vieux garçon parisien priapique, gaga pour son chat, aigri et dépressif qui, par le truchement d’une autofiction maquillée, nous inflige ses états d’âme et ses plans cul.

Seulement voilà, Nicolas Chemla écrit remarquablement bien. Je me suis délectée de ses saillies contre les viragos du marketing (p30), le Paris déliquescent (p89), la jeunesse gay (p96) et ses fêtes débridées (p218).

Influencé par Lovecraft et Huysmans, L’auteur chérit l’inexplicable, l’occulte, le bizarre, le surnaturel, la magie trouble de la « brunante » (libre traduction québécoise de la « twilight zone) », parce que si l’IA va tout expliquer et tout prévoir (p158 et 179), il ne reste plus qu’à crever.

« Abîme » est un plaidoyer pour le doute et le mystère, un manifeste pour la déviance et l’inattendu, à une époque où les stéréotypes aplanissent, portés par les vrais cavaliers de l’apocalypse : les algorithmes.

Un livre écrit sans fard et sans freins à ne pas mettre entre toutes les mains.

Bilan : 🌹🌹

L'amour

L'amour

Rentrée2023.png